Le nouveau cadre européen de lutte contre le blanchiment : le paquet LCB-FT 

8 septembre 2025 Investissement

Le nouveau cadre européen de lutte contre le blanchiment : le paquet LCB-FT 

Un nouveau cap européen face aux risques financiers 

Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme représentent des menaces majeures pour l’Union européenne, car ils compromettent la stabilité du système financier, la sécurité économique et la confiance des acteurs de marché. En permettant l’injection de fonds d’origine criminelle dans les circuits légaux, ces pratiques nuisent à l’intégrité des marchés, faussent la concurrence et fragilisent la solvabilité des institutions financières. Elles contribuent également à l’émergence de crises systémiques, en favorisant l’opacité, les bulles spéculatives ou les faillites en cascade. 

Le blanchiment de capitaux consiste à dissimuler l’origine illégale de sommes issues d’infractions telles que la fraude fiscale, le trafic ou l’abus de biens sociaux, dans le but de les réinjecter dans l’économie légale. Ces fonds peuvent ensuite être utilisés pour financer d’autres activités illicites, y compris le terrorisme. C’est pourquoi la lutte contre ces flux est au cœur des politiques de sécurité financière de l’Union européenne. 

Face à des menaces en constante évolution, la réglementation européenne doit s’adapter en permanence. Les nouvelles formes de criminalité financière s’appuient sur les innovations technologiques (monnaies virtuelles, plateformes de paiement, finance participative) et sur la mondialisation des réseaux criminels, qui exploitent les écarts réglementaires entre pays. Ces évolutions complexifient la détection et le contrôle. 

Dans ce contexte, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) ne relève plus exclusivement des autorités publiques ou du secteur bancaire. Elle engage désormais un éventail beaucoup plus large d’acteurs économiques : professions réglementées, prestataires de services numériques, associations, voire certaines TPE et PME. La vigilance à tous les niveaux devient donc un enjeu collectif, et pour chaque organisation, un impératif de conformité, de responsabilité et de prévention des risques juridiques, financiers et réputationnels. Pour répondre à ces menaces, la mise en place de dispositifs robustes ne suffit pas, il faut savoir les adapter, les piloter et les auditer régulièrement. 

 

Contexte réglementaire et évolution 

Depuis les années 1990, la LCB-FT s’est imposée comme une priorité stratégique de l’Union européenne. Consciente des risques systémiques que représentent ces pratiques pour l’intégrité des marchés financiers, la stabilité économique et la confiance des investisseurs, l’UE a progressivement construit un cadre réglementaire fondé sur la vigilance, la transparence et la coopération transfrontalière. Initialement centré sur les établissements bancaires et financiers, ce cadre n’a cessé de se renforcer, tant sur le plan des obligations que l’élargissement du périmètre d’application. 

Au fil des années, la réglementation européenne a ainsi étendu ses exigences à de nombreux acteurs économiques exposés au risque de blanchiment. Sont aujourd’hui aussi concernés les professions connexes telles que les experts-comptables et les commissaires aux comptes, mais aussi les agents immobiliers, les notaires, les avocats, ainsi que les entreprises manipulant des cryptoactifs ou fournissant des services de paiement. Certaines associations, fondations ou clubs sportifs peuvent également entrer dans le champ de la LCB-FT, dès lors qu’elles reçoivent ou transfèrent des fonds dans des volumes ou des contextes à risque. Cette extension témoigne d’une prise de conscience plus large : les risques de blanchiment traversent l’ensemble de l’économie, sous des formes de plus en plus diversifiées. 

Dans cette dynamique d’adaptation constante, un tournant important a été franchi en juin 2024 avec l’adoption du nouveau « paquet LCB-FT » par les institutions européennes. Ce paquet est composé de trois textes : la sixième directive anti-blanchiment (AMLD6), un règlement créant l’ALBC, une autorité européenne dédiée à la supervision et à la coordination de la lutte contre le blanchiment à l’échelle de l’Union et un second règlement renforçant les obligations de vigilance et de transparence pour les entités assujetties (AMLR6).  

L’objectif affiché est double : d’une part, harmoniser les pratiques entre les États membres, encore très hétérogènes ; d’autre part, renforcer la capacité de détection, de signalement et de prévention des flux financiers illicites, en comblant les failles exploitées par les criminels pour contourner les contrôles existants. 

Cette nouvelle étape réglementaire s’inscrit dans un contexte de mutations profondes. Les flux financiers illégaux circulent désormais à une vitesse inédite, portés par la digitalisation des paiements, le développement de monnaies virtuelles, et la multiplication des plateformes de financement participatif. Les organisations criminelles et terroristes s’adaptent rapidement, exploitant les innovations technologiques et les faiblesses des chaînes de contrôle pour faire transiter des fonds difficilement traçables.  

Face à cette réalité, le paquet LCB-FT impose aux entreprises un niveau de vigilance accru, notamment en matière d’identification des clients, de vérification des bénéficiaires effectifs, et d’analyse de la nature des transactions. Cette évolution crée un besoin croissant d’accompagnement spécialisé, à la fois juridique, opérationnel et technologique.  

 

Les trois composants du paquet LCB-FT 

 

Premier volet : La directive AMLD6 

Entrée en vigueur le 10 juillet 2024, la directive AMLD6 impose aux États membres une transposition obligatoire pour les États membres d’ici le 10 juillet 2027. Elle ambitionne d’uniformiser les modalités de création et de gestion des registres de bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire la personne physique qui contrôle réellement une entité. Exiger des registres à jour, fiables et vérifiés, c’est renforcer la capacité des autorités et des acteurs économiques à détecter les montages juridiques complexes utilisés à des fins frauduleux.

Ce qui distingue l’AMLD6, c’est qu’elle ne se limite pas à demander aux entreprises de déclarer leurs bénéficiaires effectifs. Elle impose aussi aux entités gestionnaires des registres (souvent les greffes, autorités fiscales ou registres du commerce) de vérifier activement les informations transmises, et de contrôler leur véracité auprès des sociétés concernées. Cela crée une véritable chaîne de responsabilité, et met fin à une logique purement déclarative, peu efficace en pratique.

En assurant l’accessibilité et l’exactitude des informations via la directive AMLD6, l’Union européenne vise une transparence renforcée et une efficacité accrue de ses dispositifs de lutte contre les flux financiers opaques, répondant aux impératifs croissants de conformité et de supervision. Toutefois, ces nouvelles exigences soulèvent des difficultés pratiques, notamment en raison du volume considérable de données à traiter par les autorités compétentes, de la complexité technique des obligations et de leur mise en œuvre opérationnelle, et des risques juridiques ou financiers associés à une non-conformité. 

Le renforcement des obligations de transparence, notamment en matière de divulgation de données sensibles, génère aussi de vives inquiétudes quant à leur compatibilité avec le RGPD et le respect du droit à la vie privée. En mars 2023, le Contrôleur Européen de la Protection des Données (CEPD) a alerté sur les risques associés à un partage excessif d’informations entre acteurs publics et privés. Certaines dispositions du nouveau cadre pourraient, selon lui, porter atteinte aux garanties prévues par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 

Deuxième volet : Le Règlement (UE) 2024/1620

Le deuxième pilier du nouveau cadre européen en matière de LCB-FT est le Règlement (UE) 2024/1620 qui crée la nouvelle Autorité européenne de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux (ALBC ou AMLA en anglais). Cette autorité supranationale, installée à Francfort-sur-le-Main, représente un tournant stratégique. Elle a pour mission d’assurer une application homogène des règles anti-blanchiment dans l’ensemble des États membres, tout en veillant à la stabilité du système financier et à la protection de l’intérêt général. 

Conçue pour renforcer la supervision à l’échelle européenne, l’ALBC jouera un rôle central dans la coordination des cellules de renseignement financier (CRF), ces acteurs clés qui assurent le lien entre les professionnels assujettis aux obligations de vigilance et les autorités compétentes. En collectant, analysant et transmettant les déclarations d’opérations suspectes, les CRF contribuent à détecter les circuits financiers illicites et à prévenir les risques systémiques. L’ALBC viendra donc harmoniser les pratiques, fluidifier la coopération entre États membres et garantir une meilleure efficacité du dispositif. 

Mais ses prérogatives vont bien au-delà. Dotée d’une personnalité juridique propre, l’ALBC disposera de pouvoirs de surveillance directe sur les établissements financiers considérés comme à haut risque, dès 2028. Elle sera en mesure d’évaluer leurs dispositifs de conformité, de mener des inspections, et d’imposer, le cas échéant, des mesures correctives, des amendes administratives ou des sanctions pécuniaires. L’autorité pourra également nouer des partenariats avec les grands acteurs institutionnels du secteur, tels qu’Europol, le Parquet européen, ou encore des autorités internationales, pour un pilotage coordonné des actions à l’échelle globale. 

Pour les entreprises du secteur financier, mais aussi pour tous les acteurs indirectement concernés par ces évolutions, y compris les cabinets de conseil et les professions réglementées, cette nouvelle gouvernance européenne appelle à une montée en compétence, à une revue des dispositifs de conformité, et à une anticipation stratégique des exigences à venir. L’entrée en fonction de l’ALBC s’accompagnera d’un niveau de contrôle renforcé. Il est donc crucial d’anticiper les attentes de cette autorité dès aujourd’hui. 

 

Troisième volet : Le Règlement (UE) 2024/1624

Dernier volet du nouveau paquet législatif européen en matière de LCB-FT, le Règlement (UE) 2024/1624, également connu sous le nom d’« AMLR6 », constitue une pièce essentielle du nouveau dispositif européen. Pour la première fois, un socle commun de règles s’applique à l’ensemble des Etats membres. Cette uniformisation vise à combler les failles réglementaires exploitées par les fraudeurs, en instaurant un cadre plus cohérent et plus rigoureux à l’échelle européenne. 

Ce règlement marque une évolution majeure en élargissant le cercle des professionnels soumis aux obligations de vigilance. Désormais, les plateformes de cryptoactifs, les négociants en biens de luxe, ainsi que les clubs et agents sportifs rejoignent les établissements financiers traditionnels dans le champ d’application des règles anti-blanchiment. Cet élargissement s’explique par les risques spécifiques à ces secteurs : l’anonymat et la fluidité des transactions en cryptoactifs, la mobilité et la forte valeur des produits de luxe, ou encore les flux financiers massifs, parfois transnationaux, dans le monde du sport professionnel.  

Par ailleurs, les exigences en matière d’identification et de vérification des clients (KYC) sont renforcées de manière significative pour combattre de manière plus efficace le risque de criminalité financière dans les institutions financières. Les données à recueillir sur l’identité du client et du bénéficiaire effectif deviennent plus détaillées, et leur mise à jour devra être effectuée selon une fréquence précise : tous les ans pour les profils à risque élevé, et au minimum tous les cinq ans pour les autres. 

Le règlement introduit également des obligations spécifiques en cas de relations d’affaires ou de transactions ponctuelles impliquant des personnes physiques ou morales provenant de pays tiers considérés à haut risque par le Groupe d’Action Financière (GAFI), c’est-à-dire les pays dont les dispositifs de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme restent fragiles ou incomplets. Dans ces situations, des mesures de vigilance renforcées devront être systématiquement déployées. 

En somme, l’AMLR6 redéfinit en profondeur les standards de conformité attendus en Europe. Il appelle les acteurs économiques, notamment ceux récemment intégrés au périmètre réglementaire, à revoir leurs procédures internes, renforcer leurs dispositifs de veille, et s’outiller pour répondre à des exigences de contrôle plus fréquentes, plus précises et plus strictes. 

 

Conclusion

Le paquet LCB-FT fixe un nouveau cadre européen, plus ambitieux et rigoureux, qui élargit le champ des acteurs concernés et renforce les exigences de vigilance, d’identification et de traçabilité. Dans un contexte de contrôle accru et de pression réglementaire, les entreprises doivent désormais prouver leur capacité à prévenir efficacement les risques de blanchiment et de fraude. 

Pour ces entreprises, la clé réside dans l’anticipation : comprendre les textes, cartographier les risques, mettre à jour les procédures, former les équipes et intégrer la conformité dans chaque processus. Car plus qu’une obligation, la conformité peut devenir un avantage concurrentiel décisif. 

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